Demeures et propriétés vertaviennes : Les avineaux, Ginette Richard et Jean-Claude Brosseau
Appelée ainsi au cours du siècle dernier, cette châtellenie était connue depuis des temps immémoriaux, sous le toponyme des Navinaux. Situé aux confins de Vertou et de Château-Thébaud, l’endroit est difficile d’accès. Pour s’y rendre, il faut à Portillon prendre la route D 58 en direction de Château-Thébaud, la quitter à hauteur de la Bastière et emprunter à gauche celle qui va à la Blandinière. Celle-ci se termine en cul-de-sac, mis à part un petit chemin en pente qui rejoint la Sèvre toute proche. A l’entrée du village de la Blandinière bifurquer sur la droite, descendre le chemin goudronné, passer sur un pont étroit et remonter un léger raidillon, en face voici une grande bâtisse aux ouvertures blanches, c’est la ferme des Avineaux. Un porche récemment restauré donne accès à une grande cour entourée sur trois côtés de bâtiments : l’habitation des fermiers, les communs (étable, remises, hangar, cellier, etc) et légèrement à l’écart les murs en ruine de l’ancien logis des Maîtres.
C’est en 1930 que les parents de Mme Pavageau prennent la succession de M. Jouys. Venant de Vendée, M. et Mme Brianceau ont d’abord été domestiques agricoles vers St-Léger-les-Vignes puis au Château du Coin à St-Fiacre, ensuite fermiers aux Avineaux jusqu’en 1959. A cette date, Mme Brianceau devenue veuve, sa fille et son gendre prennent la succession afin que le suivi de l’exploitation soit assuré. Au début le travail est effectué avec un cheval, puis vers 1970 l’arrivée d’un petit tracteur facilite le travail avec l’aide, pour les gros travaux, d’une coopérative agricole (chaumage, bottelage du foin, battage du blé, etc).
Les 18 hectares de terres et prairies sont exploités en culture traditionnelle pour l’alimentation des bêtes à cornes dont on fait l’élevage pour la vente et la reproduction ainsi que pour la production laitière. Cette dernière collectée par une coopérative de Rezé, la CO.LA.RE.NA. « Coopérative laitière régionale nantaise » assure un petit salaire mensuel, les fermiers vivant en partie des produits de leur ferme. Quant à la vigne, le mode d’exploitation est le métayage c’est-à-dire à moitié fruit. Le propriétaire participe aux frais d’entretien mais il a droit à la moitié du produit récolté qu’il vend à son profit, l’autre moitié revient à l’exploitant à condition d’assurer tout le travail d’entretien : culture et traitement. Le gros problème de l’exploitation sont les gelées tardives. Les terres ainsi que le logis et les bâtiments viticoles restent la propriété de Mme de Couesbouc ancienne propriétaire de la ferme. Après 35 ans de travail sur les terres des Avineaux, les fermiers ont pris leur retraite en devenant propriétaires de leur habitation.
L’habitation des fermiers |
L’ancien logis des maitres |
Malgré un petit pincement au coeur, surtout la première année, ils sont heureux aujourd’hui de voir les vignes et les prairies en de bonnes mains.
Mais revenons au passé. Cette terre des Navinaux était une seigneurie qui, dès le Moyen Age, avait le droit de haute, moyenne et basse justice, elle relevait par ailleurs du Domaine Ducal de Touffou et plus tard de la Châtellenie de Château-Thébaud (anciennement Montrelais). Si on se réfère à l’article de Michel Kervarec (cf. « Regards sur Vertou au Fil des Temps » – numéro 4), on apprend que cette terre est un cas très particulier, elle appartient aux Marches Avantagères de Bretagne, apparemment juridiction très complexe : les Ducs de Bretagne en sont les seigneurs suzerains mais les rentes féodales sont dues à part égale aussi aux Comtes du Poitou !
Vers le 11ème siècle, nous trouvons un Pierre de St-Fiacre propriétaire de ladite terre. Il faut ensuite sauter trois siècles pour trouver la trace de la longue liste des nombreux possesseurs de cette terre. Ainsi, en 1448, le premier de ceux-ci, Pierre de Quersy ou Kersy suivant les orthographes ; il est sieur de la Juliennais en la paroisse de St-Etienne-de-Montluc et possède également, entre autres, la Haie Pallet à Mouzillon-Monnières. En 1455, lui succède un membre de sa famille : Briand de Quersy. En 1475, le domaine passe dans la famille d’Elbiest d’origine flamande. Le premier, Guillaume d’Elbiest surnommé Le Veneur est aussi seigneur de Thouaré. Dans la même lignée, en 1489, Jehan d’Elbiest en est l’heureux propriétaire. Sa fille, Marguerite d’Elbiest, épouse de Jean de St-Amadour, en hérite en 1511. Nouvel héritage, en 1530, le domaine appartient désormais à leur fille Gillette de St-Amadour mariée à Louis Herbert Baron de Courcy. En 1578, leur fils, Jacques Herbert vend les Navinaux à Hardy Pantin seigneur du Coing en St-Fiacre et Gras-Mouton en Château-Thébaud. Seigneur de plusieurs autres juridictions, Chevalier de l’Ordre du Roi, il est aussi capitaine du Château de Touffou ; sa cousine, Isabeau du Coing devient son épouse en 1561. Elle est la fille du seigneur de la Frémoire. Les Pantin sont aussi seigneurs de la Hamelinière, Landemont et autres lieux ainsi que du Plessis-Guerry sur la paroisse du Pallet. Parmi cette famille illustre, quelques individualités se sont fait un prénom, ainsi : Louis Pantin, fils de Hardy Pantin. Il est enseigne des gendarmes du duc de Mercoeur (chef de la Ligue pendant les guerres de religion qui ont ravagé notre région). Claude Pantin, fils de Louis, Capitaine de Chevaux-Légers qui, lui, a choisi le protestantisme.
Les Avineaux vers 1895 |
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Comment se présentent les Navinaux au 17ème siècle ? D’après le Chanoine Jarnoux, dans un article consacré à cette propriété, il est fait état d’un aveu de Samuel Pantin en date de 1675 : »Le manoir vient d’être reconstruit. Ses murs sont en pierre, blanchis extérieurement à la chaux. »
Un an après, en 1680, Samuel Pantin, châtelain du Coing, la Frémoire, les Navinaux, Baron de Landemont et Marquis de la Hamelinière vend le bien à Macé Lucas Sieur de la Belaudière, négociant à Nantes dans la paroisse de St-Saturnin. En 1701, sa fille Isabelle Lucas épouse de Marc Gallon, en devient propriétaire par héritage. Ses enfants, Guillaume, Pierre et Antoine Gallon, marchands demeurant à Nantes, toujours dans la même paroisse St-Saturnin, en héritent à leur tour mais décident de vendre.
C’est le 21 août 1750 que Messire Thomas Biré Chevalier Seigneur de Jasson et Malnoë et son épouse Dame Xainte Marie Biré de la Sénégerie rachètent le domaine. En 1758, le 30 janvier, devant Maître Denis Mongin notaire royal à Nantes, le Coing et les Navineaux sont vendus pour la somme de 86000 livres à Maître Antoine Marie Paul Ralet conseiller du Roy, Maître ordinaire en la Chambre des comptes de Bretagne et son épouse Dame Louise Perrine Coquelin, domiciliés paroisse St-Jean-St-Pierre à Nantes. L’ancien propriétaire Messire Thomas Biré étant à Paris s’est fait représenter par Messire Philippe Biré en qualité de Procureur spécial. En 1771, les Navinaux sont la propriété de la famille Charet. Joseph originaire du Val d’Aoste fut naturalisé vers 1683, son fils Nicolas achète la seigneurie de la Frémoire en Vertou. Il fut anobli par échevinage en 1747. En 1782, un nouveau propriétaire, jean Proust Sieur de la Bastière. Il est marchand à Nantes, paroisse Ste-Croix.
Au moment de la révolution, la maison noble a été détruite, il n’en reste que quelques pans de murs. A ce sujet voici ce qu’en dit le Chanoine Jarnoux : La révolution est proche et elle laissera des blessures profondes de son passage, les pierres d ‘une partie des bâtiments détruits aux cours des journées tragiques serviront à paver le chemin qui conduit aux Navinaux d’aujourd’hui… »
Difficile de savoir ce que deviennent les Navinaux, pourtant en 1804 (An 12) les terres du Coing et des Navinaux sont à vendre. Il semblerait qu’à cette époque la terre et domaine du Coing et des Navinaux soient la propriété du baron Gabriel Noury intendant militaire qui les revendra à Augustin Xavier Bacqua. D’autre part, vers la même époque, la maison noble et les dépendances ont été séparées pour devenir deux métairies. Ainsi, Augustin-Xavier Bacqua, éminent docteur en médecine aurait acheté à la fois les Navinaux vers 1853, mais aussi la propriété du Coing en St-Fiacre.
Suivant le tableau ci-contre, nous voyons la transmission d’héritages jusqu’à la famille de Couesbouc, qui envisage d’y faire un gîte rural pour redonner un certain éclat à l’ancien logis. »
Article tiré de la revue Regards sur Vertou, N°5
Vertou au fil des siècles, Toponymie vertavienne et Moyen-Age, Michel Kervarec
Pour terminer ce périple à travers Vertou, au sud de la Sèvre et de la Maine, nous allons revenir au village de la Bastière pour emprunter la voie des coteaux qui nous mène au village de la Blandinière pour aller mourir dans les prairies au confluent des deux rivières. Le village est bâti en un secteur très vallonné. On y remarque les lieux-dits la Barre et le Clois. Une famille Blandin a laissé son nom au hameau. Au coeur de celui-ci, un chemin étroit et en forte pente nous mène vers un ruisseau qu’il franchit par un ponceau. En haut de l’autre versant, se trouve le village des Avineaux construit en un site remarquable par son relief accusé et son isolement. Il s’agit d’un éperon formé par le vallon que nous venons de voir et la vallée aux pentes abruptes de la Maine. L’éperon était gardé, au Moyen Âge, par le château seigneurial des Navinaux, en lieu et place du hameau aux allures de manoir-ferme à cour fermée ou semi fermée que nous voyons aujourd’hui.
Le nom les Avineaux est un avatar moderne de les Navinaux, appellation provenant d’un ancien passage d’eau sur la Maine et signifiant « les petits bateaux » ou « navicules ». C’est aussi à ce passage que la terre de la Felleterie (la Felletrye en 1601) doit son nom. La felete était une sorte de barque. Le seigneur des Navinaux avait entre autres, « le droict de pescherie et passaige aux batteaulx « . Cette seigneurie, au Moyen Âge, appartenait aux marches avantagères à la Bretagne, ce qui est rappelé par la vigne de la Marche et le lieu-dit le Chemarche, le Chef de Marche, la limite, appellations notées dans des pièces anciennes. On ignore tout ou presque de la formation des marches, comme on ignore dans quelles conditions et quand cette seigneurie, comme d’autres, fut rattachée au comté de Nantes. Le plus ancien seigneur connu est Artur de l’Ebrest, époux de Françoise Leveneur, à qui succède Jehan de l’Ebrest, mentionné en 1492. Dans la second moité du 16ème siècle, on note Gilles de Saint-Amatour puis Jacques de Soubilliers, baron de Courcy (1576). Les aveux du 15ème siècle indiquent qu’il y a droit de basse, moyenne et haute justice attachée à ce fief,
« garenne et reffuge a connilz « , etc.
La Maine, Ancien passage d’eau des Avineaux
Aux avineaux
La toponymie du cadastre est limitée. On retient les Mils, qui désigne le haut de l’éperon, et les Feux, à toucher les bâtiments. Dans ce dernier cas, les aveux du 15ème siècle nous restituent les Fuies. Le nom les Mils n’y est malheureusement pas cité. On note qu’à l’époque, la maison des Navinaux était désignée par le mot hostel. La terre faisant face au porche de la cour est cadastrée l’Ouche de la Porte, ce qui correspond à la Vigne Hors la Porte du 15ème siècle et ce qui montre que le fonds actuel du bâtiment a ses origines à la fin du Moyen Âge.
Dans les actes anciens, apparaît le lieut-dit le Dreuil, le Droil ou encore le Drueil, d’un mot ayant le sens de chêne et rencontré dans le Drouillet. Je n’ai pu localiser précisément le lieu ainsi désigné. On accédait au passage d’eau par un chemin en forte pente, peut-être le Pas de la Rotte de certains actes. Le lieu d’embarquement était dit le Port-Chardonnay ou encore le Port de Goule de Maine (le confluent est à 300 mètres en aval). Sur l’autre rive, la navigation aboutissait aux abords du château seigneurial du Coin, en Saint-Fiacre.
A proximité immédiate des Avineaux, se trouve la demeure dite la Maison-Blanche, autrefois la Chenarderye, d’un nom de famille. Entre celle-ci et le hameau de l’Angebert était une terre dite les Blanteries (à la fin du Moyen Âge les Belutryes), peut être du verbe bluter et en rapport avec l’existence d’un moulin. Entre les Avineaux et la Maison-Blanche, se situe le Rocher ou le Petit-Rocher. Une fois de plus, on peut supposer la trace d’un mégalithe. Marionneau a signalé l’existence de ce qu’il appelle un « tombeau celtique « , selon les critères de son époque, au village voisin de la Blandinière. Cet ensemble, selon sa description, se présentait comme une enceinte de huit pierres dont cinq étaient juxtaposées. La terre se nommait la Masure ou les Petites-Lesches. On remarque la correspondance entre des mégalithes et le lieu-dit la Masure mais, dans ce secteur, la présence de ruines gallo-romaines dans le sol est également attestée. Le sens du mot lesche, dans ce contexte, pose problème. On fera un rapprochement avec laische qui a désigné une lame d’épée (cf. les Brettes).
Ici se termine notre randonnée à travers Vertou, mais est-ce bien une fin ?
Article tiré de la revue Regards sur Vertou, N°5